Livret dialyse – édition 2022
En ce début d’année 2022, le livret consacré à l’histoire de l’innovation en dialyse fait partie des nouvelles éditions de la collection du Snitem.
La dialyse reste un traitement indispensable pour les personnes ayant une insuffisance rénale chronique et ne pouvant bénéficier d’une greffe. Les extraordinaires innovations qu’a connues la dialyse ces dernières décennies témoignent de la volonté des acteurs de ce secteur d’améliorer toujours plus la prise en charge et la qualité de vie des patients dialysés tout en s’inscrivant dans la réalité digitale et environnementale d’aujourd’hui.
Au regard d’autres spécialités médicales, la dialyse pourrait être qualifiée de secteur à la fois jeune et fulgurant puisqu’il n’a fallu qu’un siècle pour passer du concept à la possibilité de soigner aujourd’hui tous les insuffisants rénaux chroniques.
Bien sûr, cela n’a été rendu possible que par la découverte puis la maîtrise des divers principes physico-chimiques (diffusion, osmose, diffusion, rôle des membranes et des propriétés de leurs matériaux etc.) sur lesquels repose la technique de dialyse.
Par la suite, les travaux conjoints des professionnels de santé et des industriels sur les dispositifs ont permis d’en améliorer les techniques tout en diminuant les effets indésirables : dialyseurs, générateurs, abords vasculaires (fistules artério-veineuses et cathéters), filière de traitement d’eau et des fluides…
Des modalités toujours plus diverses pour traiter tous les patients
Toutes ces innovations successives ont autorisé la prise en charge d’un panel de patients toujours plus large. Ainsi, les efforts portés sur la biocompatibilité des dispositifs, dont les membranes, ont permis de s’adapter à des profils de patients toujours plus variés, jusqu’à permettre d’envisager, dans un futur proche, une dialyse de plus en plus individualisée.
De fait, au cours de son parcours, le patient dialysé utilisera souvent plusieurs modalités thérapeutiques : hémodialyse, dialyse péritonéale, auto-dialyse, en centre, hors centre, à domicile… la multiplication des possibilités qui s’offrent à lui n’ont qu’un double objectif : améliorer les soins et sa qualité de vie et multiplier ses choix.
Le choix du patient au cœur de son parcours
En effet, un individu atteint d’insuffisance rénale chronique doit pouvoir faire un choix entre les différentes modalités de suppléance rénale. Cette dernière est un traitement contraignant qui a un impact important sur la vie quotidienne.
Les équipes néphrologiques et les industriels de la dialyse ont donc à cœur de mieux comprendre et mieux prendre en compte ce retentissement pour répondre aux attentes des patients traités par dialyse et c’est pourquoi ils portent une attention toute particulière à l’étape de pré-suppléance. C’est ce qui permettra au patient de devenir acteur de sa maladie et de choisir le traitement le moins contraignant de son point de vue, dans le cadre d’un processus de décision partagée.
Un double virage pour la dialyse
Le secteur de dialyse a entamé ces dernières années un double virage afin de s’inscrire dans les enjeux numériques et environnementaux actuels.
Les nouvelles fonctionnalités proposées par le numérique sont prometteuses sur le plan technique : les nouvelles solutions logicielles de télésurveillance permettent d’imaginer une maintenance prédictive des pannes et une traçabilité optimale ; des algorithmes de collecte de données et d’analyse des paramètres permettent d’envisager une dialyse sur-mesure voire l’élaboration de grilles de prescription afin de maximiser la prise en charge thérapeutique au plus tôt. La digitalisation et la miniaturisation des dispositifs de dialyse participent également du développement de la dialyse à domicile, réduisant ainsi le sentiment de fardeau lié à la maladie pour certains patients tout en les sécurisant grâce au suivi à distance. Une digitalisation qui dégagera, par ailleurs, les professionnels de santé de tâches à moindre valeur ajoutée, d’augmenter la sécurité, de diminuer les évènements indésirables et, donc, d’optimiser le suivi du patient.
Enfin, les acteurs de la dialyse s’inscrivent aujourd’hui dans une démarche toujours plus respectueuse de l’environnement. Énergies renouvelables, osmoseurs moins énergivores, optimisation du processus de désinfection de la filière d’eau, désinfection thermique, moniteurs à faible débit de dialysat à domicile, gestion des déchets et réduction des emballages… sont autant de versants sur lesquels les industriels travaillent ces dernières années avec les professionnels de la néphrologie, notamment par le biais de formations.
Les patients parlent de l’innovation
Les deux témoins de ce livret ont derrière eux une longue expérience de suppléance rénale. Plus encore, à eux deux, ils en ont expérimenté toutes les modalités et toutes les techniques. Aujourd’hui, tous deux dialysés à domicile, ils sont également extrêmement impliqués dans l’amélioration de la prise en charge et dans l’accompagnement des patients dialysés.
Chacun a son parcours, son histoire, son expérience mais tous deux portent le même message de résilience. Un traitement de suppléance rénale est un bouleversement, certes, mais ce n’est pas une fatalité. Et parce que ce sont les patients qui en parlent le mieux :
« On vit tellement mieux une fois cela compris » (Aziz Aberkane).
« Le reste du temps, je vis ma vie normalement ! » (Odile Basse).
Les voies royales vers le sang
Si de gros progrès ont été accomplis en matière d’accès vasculaire au cours des dernières décennies, et notamment depuis les années soixante, cette thématique reste fondamentale car l’efficacité du traitement et donc la survie du patient en dépendent.
A QUOI CA SERT ?
L’accès vasculaire est primordial dans la prise en charge de l’insuffisance rénale : « L’efficacité et la qualité des résultats obtenus dans la suppléance rénale au long cours reposent sur un accès vascu- laire de bonne qualité, fiable et durable » (Bernard Canaud, Leila Chenine, Cédric Formet et Hélène Leray-Moragués dans le chapitre des Actualités néphrologiques 2005 consacré aux accès veineux pour hémodialyse). En effet, afin de permettre l’épu- ration et ce, dans le temps le plus court possible, il est nécessaire d’obtenir un débit sanguin suffisam- ment élevé, ce que ne permettent pas les veines périphériques surtout de manière répétée et fré- quente, comme l’explique le Professeur Canaud : « Le débit est le facteur limitant en dialyse et on ne peut y échapper. C’est pour cela qu’il faut un abord vasculaire qui soit le plus performant et le plus efficient possible. » En matière d’hémodialyse, en outre, c’est également par cet abord que va s’effec- tuer la circulation du sang entre le patient, l’hémo- dialyseur et de nouveau le patient.
COMMENT CA MARCHE ?
Il existe trois types d’accès vasculaire, fruits de trois techniques différentes. Le premier est ce que l’on appelle la Fistule artério-veineuse (FAV) : créée chirurgicalement, elle consiste en une connexion entre une artère et une veine afin d’augmenter la pression sanguine de celle-ci. Après quelques semaines, la veine est artérialisée et offre les condi- tions idéales de ponction, de débit et de recircula- tion. Localisée le plus souvent dans l’avant-bras ou, plus rarement dans la cuisse, c’est l’accès vascu- laire le plus répandu en France (80 % des patients sont traités sous fistule), d’autant qu’il jouit d’une durée de vie importante : « La fistule artério-vei- neuse native demeure l’accès vasculaire de « réfé- rence » et de première intention » confirment les auteurs précités. Toutefois, il peut arriver que, chez certains patients, la mise en place d’une FAV ne soit pas possible soit en raison d’un âge avancé, soit parce que le système vasculaire du patient est dégradé (à cause de trop nombreuses perfusions, de tentatives précédentes de fistules en grand nombre, d’artères calcifi es...). Deux autres types d’abord vasculaire peuvent alors être envisagés. Le premier est lui aussi artério-veineux : il s’agit là encore de réaliser une connexion mais en interposant un matériel prothétique, soit synthétique (un goretex à base de polytétrafluoroéthylène ou PTFE), soit biologique (une veine saphène retirée lors d’une varicectomie). Mais la durée de vie de ces pontages artério-veineux est bien moindre que celle des FAV et nécessitent de surcroît une maintenance lourde et onéreuse. Enfin, une dernière option relève du domaine veino-veineux : il s’agit d’implanter un cathéter central. Ce tuyau en silicone ou polyuré- thane va permettre de pomper le sang et de procé- der à la dialyse. Laissé en permanence dans le corps du patient et protégé quand il n’est pas utilisé par un pansement pour éviter les risques d’infec- tion, il peut être temporaire (quelques semaines) ou tunnelisé (de quelques mois à plusieurs années). Malgré d’importants progrès réalisés dans le domaine des cathéters, ils comportent toujours des risques de thrombose et d’infection qui peuvent nécessiter de changer le dispositif.
UNE HISTOIRE D’INNOVATIONS
Dans les années cinquante, d’importantes avan- cées eurent lieu dans le domaine de la dialyse. Malgré cela, le traitement restait encore réservé aux patients atteints d’insuffisance rénale aigüe. Traditionnellement, on posait sur le patient une canule permettant l’accès vasculaire : toutefois, ce tube de verre ne pouvait pas rester en position de manière permanente. C’est à l’Américain Belding H. Scribner et à son équipe de Seattle que l’on doit une première véritable révolution : s’étant interrogé sur le moyen de rendre possible la répéti- tion des séances de dialyse, il s’inspira des travaux sur les cathéters posés à des lapins de Nils Alwall et mit au point le shunt artério-veineux qui porte aujourd’hui son nom. Cette technique permet de réaliser de façon répétitive une circulation extracor- porelle, condition sine qua non pour le traitement de la dialyse chronique, comme le résume le Professeur Maurice Laville : « C’est à partir de ce shunt que l’on a compris que la dialyse pouvait être un traitement chronique. Bien sûr, il y a eu ensuite des tâtonne- ments pour trouver la bonne fréquence des séances de dialyse. » Toujours est-il que Clyde Shields, le premier patient qui bénéficia du shunt de Scribner le 9 mars 1960, devint le premier patient dialysé chronique. Il décéda 11 ans plus tard, d’une crise cardiaque et pas de son insuffisance rénale ! B. H. Scribner lui-même écrivit en 1990 : « Le traitement couronné de succès de Clyde Shields représente l’un des rares cas en médecine pour lequel un seul succès suffit pour entériner une nouvelle thérapie. »
En 1961, le Britannique Stanley Sheldon s’attaque quant à lui à la question de l’accès vasculaire tem- poraire et immédiat afin de pouvoir réaliser des dia- lyses dans des conditions aigües, la fistule classique demandant un certain délai pour se développer avant utilisation. En 1966, James Cimino et Michael Brescia réalisèrent les premières fistules artério-vei- neuses. Le Professeur Laville raconte : « Ce sont eux qui mirent au point cette technique qui existe toujours actuellement et qui permet cet accès vas- culaire sans multiplier les tuyaux extracorporels et en limitant les infections et les thromboses, ce qui était jusqu’alors le risque majeur du shunt de Scribner. La fistule est évidemment plus naturelle : située sous la peau, elle permet un accès vasculaire chronique durable.”
LE CATHÉTER DOUBLE LUMIÈRE TUNNÉLISÉ
Ainsi, au début des années soixante-dix, la question des abords vasculaires semblait en partie réglée. En partie seulement car, comme le relate le Professeur Canaud, le shunt de Scribner, s’il constituait bien une alternative à la fistule, n’en demeurait pas moins une technique complexe : « Il était long et difficile à mettre en place et avait une durée de vie limitée à quelques mois. Quant aux cathéters aigus G qui existaient, ils étaient extrêmement contraignants puisqu’implantés dans la veine fémorale. Dans la première moitié des années soixante-dix, on a com- mencé à utiliser la veine sous-clavière , plus facile d’accès et moins gênante pour le patient : c’est la technique dite Uldall, du nom du néphrologue cana- dien qui l’a mise au point. Son idée fut de mettre au point un cathéter à double lumière, c’est-à-dire per- mettant d’avoir sur le même tuyau l’entrée et la sor- tie du système. Mais comme beaucoup de techniques, elle a suscité dans les premières années un grand engouement... avant d’être poin- tée du doigt : peu à peu elle fut presque bannie par les néphrologues à cause de ses complications. Cette technique est aujourd’hui utilisée dans de très rares cas mais plus du tout en dialyse chronique. » Dans les années quatre-vingt, Bernard Canaud se pencha à son tour sur la question de l’accès vasculaire : « Avec mes collègues qui travaillaient en chimiothérapie et en nutrition, j’ai eu l’idée de recou- rir à un autre matériau, le silastique, utilisé notam- ment chez les patients atteints de cancer. Ce matériau, qui n’est pas du polyuréthane, est extrê- mement souple et biocompatible. D’un point de vue technique, là aussi, nous nous sommes inspirés de la nutrition parentérale et nous avons utilisé la veine jugulaire et non plus sous-clavière. La mise en place percutanée de ce cathéter est bien moins lourde qu’en nutrition parentérale : nous avons trans- formé un geste extrêmement chirurgical en un geste très médical, facile à implanter. J’ai donc eu l’idée de mettre au point une tunnélisation très longue afin que le cathéter ne se situe pas au niveau du cou mais du thorax, de sorte que cela soit beaucoup plus agréable à porter pour le patient : il est fixé sous la peau, peut être caché par les vêtements, est facile à poser et à utiliser, utilisable au long cours, parfois pendant plusieurs années ! Puis, on est entré dans l’ère des bi-cathéters avec deux tuyaux dans la même veine, ce qui permettait d’avoir un débit très important, jamais atteint avec une fistule ! » S’en suivit la mise au point des ports implan- tables pour lesquels un petit dispositif en titanium était ajouté au cathéter, permettant de ne pas avoir de tuyaux qui sortaient de la peau. Générant malheureusement de nombreuses complications, ils furent totalement abandonnés au début des années deux mille. Mais Bernard Canaud tempère : « Certains diront qu’il y a des bons et des mau- vais cathéters. Ce sont plutôt les utilisateurs qui font la différence, pas le matériel. »
UNE QUÊTE DE LA SÉCURITÉ ET DE LA BIOCOMPATIBILITÉ TOUJOURS PLUS AVANT
La technique de la fistule reste à ce jour préférée aux autres, car elle est la plus naturelle. Elle bénéficie néanmoins encore d’innovations, notamment grâce aux progrès de l’imagerie qui offre désormais la possibilité de cartographier le bras et l’avant-bras : « On arrive à mieux identifier les veines et les artères, à en connaître le diamètre de façon à optimiser la création d’un accès vasculaire de type artério-veineux, explique le Pr Bernard Canaud. L’imagerie a beaucoup apporté à la création de fistules et à l’im- plantation de cathéters : elle permet d’éviter les complications que l’on pouvait voir auparavant et de mieux surveiller les accès vasculaires, le débit, le développement éventuel de sténose. » De même, ces dernières années, les recherches ont égale- ment porté sur des accessoires susceptibles d’évi- ter les risques d’infection en développant en particulier des produits pour lutter contre le déve- loppement de bactéries dans les cathéters ou à tra- vers de véritables « barrières » physiques, avec la mise au point de valves qui ferment le cathéter et non plus de bouchons. Cela évite l’ouverture du cathéter et diminue par là-même le risque de conta- mination. Reste encore à accomplir un travail sur la biocompatibilité des matériaux. Si le polyuréthane et le silicone semblent avoir démontré leur fiabilité, les efforts se tournent désormais vers la bio-ingénierie, comme le confirme Bernard Canaud : « Avec une matrice en polymère que l’on ensemence de cel- lules souches extraites du patient, on parvient à réa- liser un néo vaisseau artificiel in vitro puis à l’implanter. Cela semble donner des résultats inté- ressants mais, pour l’instant, ce ne sont que des résultats préliminaires. Il faut rester prudent car une idée nouvelle est toujours excitante... Or, en méde- cine particulièrement, il faut toujours prendre un temps de réflexion et d’observation pour voir ce que cela peut donner sur le long terme ! »
A savoir
REVÊTEMENTS : DES AVANCÉES EN COURS
Des travaux ont été menés sur le revêtement des aiguilles en métal utilisées pour faire une fistule et qui faciliteraient possiblement la pénétration. Également, d’autres essais ont été faits sur les cathéters, autour notamment de l’héparine, de l’hirudine ou même des dépositions d’argent étant donné son effet antibactérien connu.