Livret ophtalmologie – édition 2022
Rendre la vue à qui l’a perdue… N’est-ce pas un défi fou que celui relevé par les professionnels de l’ophtalmologie, industriels comme médecins. Millénaire et pourtant moderne, cette discipline a bénéficié des extraordinaires progrès apportés aux dispositifs médicaux, jusqu’à être, aujourd’hui, à la pointe de la précision et de la modernité. C’est ce que raconte cette nouvelle édition du livret consacré à la belle histoire de l’innovation des dispositifs médicaux en ophtalmologie.
L’œil, l’un des organes les plus délicats du corps humain, a toujours fasciné les hommes et il a fallu des millénaires pour que l’ophtalmologie devienne la discipline d’excellence qu’elle est aujourd’hui. Devenue une spécialité à part entière dès le XIXe siècle en France, la chirurgie ophtalmologique a ensuite bénéficié des avancées réalisées en matière d’anesthésie mais également celles apportées au microscope, allié essentiel du praticien.
A la pointe de la technologie et de la médecine de précision
Mais c’est la deuxième moitié du XXe siècle et le début du XXIe qui marquent l’entrée de l’ophtalmologie dans l’ère de la technologie de pointe. En effet, les progrès réalisés en matière de dispositifs et de techniques permettent de soigner désormais de manière mini-invasive et même sans ouvrir l’œil grâce aux lasers et ultrasons. Plus encore, les interventions ophtalmologiques ne nécessitent plus l’immobilisation du patient durant plusieurs jours et offrent désormais des prises en charge allégées. Bénéficiant de nouvelles améliorations apportées aux dispositifs médicaux diagnostiques et thérapeutiques ces vingt dernières années, l’ophtalmologie œuvre à l’échelle microscopique et est désormais connectée à l’image, illustration – s’il en est une – des progrès en matière de microchirurgie et d’imagerie.
Un champ d’actions toujours plus vaste
Difficile d’imaginer que, sur le petit organe que représente notre œil, soient organisés autant de domaines d’hyper-spécialités, exprimant toute la complexité de la fonction visuelle qui combine propriétés optiques et neurosensorielles. Des troubles de la vision à l’analyse des dysfonctionnements du champ visuel, en passant par les pathologies de la rétine, du cristallin, de la cornée ou des paupières, le champ d’actions de l’ophtalmologie est toujours plus vaste. Des limites sans cesse repoussées grâce à la diversité et au perfectionnement des dispositifs médicaux. OCT, lasers, implants, vitrectomie, phacoémulsification, rétine artificielle, greffe, anneaux, cross-linking, dispositifs de drainage, ultrasons, oculoplastie, dispositifs contre la sécheresse oculaire : chaque segment de l’œil et chacune de leurs affections ont leur technologie médicale.
Une spécialité qui continue d’avancer
A la pointe de la performance, l’ophtalmologie n’en reste pas moins une discipline en marche, relevant avec ambition le défi du numérique en santé. Les dispositifs d’imagerie fournissent toujours plus de données aux professionnels de santé, très précieuses à l’heure où l’intelligence artificielle (IA) pénètre progressivement le champ de l’ophtalmologie et dessine les contours d’une approche plus prédictive. L’IA pourrait s’avérer une véritable alliée dans l’aide au diagnostic et au dépistage précoce de pathologies telles que le glaucome ou la rétinopathie diabétique. Le développement des algorithmes et la miniaturisation des machines ouvrent eux aussi de nouvelles perspectives dans la prise en charge des patients, notamment à travers la télé-expertise. Le tout participant, bien entendu, à une transformation des soins, une optimisation des prises en charge et une amélioration de la qualité de vie des patients. L’aventure de l’innovation continue !
Les patients parlent de l'innovation
Prendre la décision de subir une intervention des yeux n’est jamais anodin et suscite souvent des questionnements, voire des appréhensions. Mais une fois le cap passé, on voit la vie autrement ! C’est le constat unanime partagé par les deux témoins de ce livret.
Le premier a été opéré de la cataracte pour les deux yeux à quelques années d’intervalle, des interventions survenues au bon moment pour lui permettre de préserver sa qualité de vie. Rapide, mini-invasive et aujourd’hui très courante, cette chirurgie de la cataracte lui a rendu une vision beaucoup plus nette, corrigeant un handicap visuel qui s’installe progressivement et dont on ne mesure pas toujours l’action néfaste.
Le second témoin a ceci de particulier qu’il est non seulement chirurgien réfractif mais a également bénéficié d’une opération au laser pour corriger un double défaut visuel. C’est donc sous cette double casquette qu’il livre son expérience, convaincu que l’innovation en chirurgie réfractive a radicalement amélioré la qualité de vie des patients.
Une révolution pour une pathologie rare
Les années deux mille ont vu l’émergence d’une nouvelle technique révolutionnaire pour traiter la déformation de la cornée qu’est le kératocône.
Le Corneal Collagen Cross-Linking (CXL), plus connu sous le nom de cross-linking, est une technique qui intervient principalement dans le traitement du kératocône (maladie rare liée à une biomécanique cornéenne anormalement faible). Associé à d’autres procédures chirurgicales, et si la pathologie n’est pas prise à un stade trop avancé, le CXL permet d’envisager la stabilisation biomécanique de la cornée et une redéfinition de sa forme par des procédures associées en vue d’une amélioration de la vision. Par exemple, si l’épaisseur de la cornée est satisfaisante, le CXL peut être accompagné de la pose d’anneaux intracornéens grâce à l’utilisation du laser femtoseconde. Pour certains patients, une retouche par laser excimer visant à régulariser la surface cornéenne est aussi associable en fonction de certains critères d’éligibilité. Cette stratégie de cornéoplastie mini-invasive séquentielle permet, dans certains cas, d’éviter une greffe de cornée chez les patients jeunes pour lesquels le port de lentilles rigides n’est pas ou plus possible.
Après avoir retiré l’épithélium de la cornée, il faut photoréticuler son collagène pour la rendre moins rigide et moins déformable. « Le but du traitement est de rigidifier le collagène en créant des ponts chimiques entre les fibrilles de collagène grâce à l’action polymérisante de la photothérapie (principe du cross-linking) » (Association Kératocône). Ainsi, on a recours à la vitamine naturelle B2 qu’est la riboflavine en raison de ses propriétés photoprotectrices. La riboflavine est infiltrée dans la cornée kératocônique puis une séance d’UVA (ultraviolets longs) est appliquée sur la cornée pendant plusieurs minutes. Suite à l’exposition à une certaine longueur d’ondes se créent des pontages moléculaires entre les fibrilles de collagène et leur environnement, c’est-à-dire la matrice extracellulaire. Ainsi, le cross-linking consiste-t-il en une réaction chimique qui va éviter (ou limiter) le processus de déformation de la cornée atteinte de kératocône et éviter la détérioration de la qualité de vision.
On doit la très récente technique du CXL au Zurichois Theo Seiler qui constata, à la fin des années quatre-vingt-dix, que son dentiste utilisait les UV pour polymériser les composants dentaires. Il eut l’idée de transposer cette technique pour polymériser les cornées pas assez dures, comme en cas de kératocône. Les travaux de Spoerl en 1998 permirent de montrer que « des cornées de porc préalablement traitées par la riboflavine, […], puis exposées à une irradiation ultraviolette gagnaient en rigidité et en résistance à l'étirement par rapport à des cornées témoin […] » (M. Labetoulle, « Une alternative à la greffe pour le kératocône ? », Journal français d'ophtalmologie). 2003 marque un tournant : cette année-là, des chercheurs de l’Université de Dresde, emmenés par Wollensack, démontrèrent que la maladie cesse d’évoluer et, même, que la cornée finit par s’aplanir légèrement, ce qui évite la greffe de cornée. Mais la technologie resta cependant à l’état d’étude, avec une cohorte clinique qui dura dix ans. Néanmoins, « dès 2007 ouvrirent des centres de référence à travers l’Europe, dont la France, et les premiers produits furent commercialisés avant même que ne soit apportée la preuve de l’efficacité formelle du CXL », explique le Pr David Touboul, qui exerce au CHU de Bordeaux et au Centre national de référence du kératocône.
Une technique jeune qui reste à optimiser
Depuis, parallèlement aux machines, c’est le protocole de traitement qui a évolué, poursuit le Professeur Touboul : « Il y a eu des variations concernant la durée d’imprégnation : le protocole conventionnel prévoit une imprégnation de la riboflavine pendant trente minutes puis une exposition de trente minutes, soit une heure de traitement. Depuis quatre à cinq ans, des protocoles encore en cours de validation préconisent la même dose de vitamine mais dans le cadre d’un processus accéléré. Le protocole le plus serré restreint le temps d’imprégnation à dix minutes et le temps d’irradiation à trois minutes avec une irradiance multipliée par dix ! Les machines ont donc évolué pour prendre en compte cette accélération du CXL ». Parallèlement, des recherches ont été menées pour tenter d’éviter d’ôter l’épithélium, un geste qui reste douloureux en post-opératoire. Des solutions de riboflavine transépithéliales ont donc été élaborées pour permettre à la molécule de passer. Si cette alternative est moins douloureuse, la rigidification est cependant un peu moins profonde et l’efficacité moins satisfaisante. En 2013, apparut un dispositif utilisant un courant très basse tension pour faire pénétrer la solution dans la cornée (iontophorèse). Aujourd’hui, si la technique semble mature malgré son jeune âge, on recherche toujours son optimisation, notamment par le biais de l’imagerie (CXL guidé par topographie cornéenne). Ainsi, les prospections sont encore nombreuses pour optimiser les techniques afin d’élaborer les meilleures produits réticulants et de parvenir à l’optimisation de leur répartition. Il s’agit de trouver la technique la moins douloureuse et la plus efficace (via le monitoring notamment) mais aussi de s’assurer que la riboflavine est bien la meilleure solution. C’est pourquoi des travaux de recherche sont menés avec d’autres molécules.