Livret respiration – édition 2022
La crise sanitaire liée à la Covid-19 a brutalement mis en lumière la notion d’insuffisance respiratoire, souvent méconnue du grand public, ainsi que le rôle crucial des dispositifs de suppléance respiratoire. Et s’il a été possible de faire face à cette situation extrêmement tendue, c’est grâce aux progrès apportés aux machines au fil du temps, comme le raconte la nouvelle édition du livret consacré à l’innovation en respiration.
Longtemps, les traitements de affections respiratoires se limitaient à l’utilisation d’aérosols puis de médicaments pour en contrecarrer les effets. Mais, à partir des années 1950 et jusqu’à aujourd’hui compris, les efforts conjoints des professionnels de santé et des industriels ont littéralement révolutionné la prise en charge des patients insuffisants respiratoires. Non seulement l’insuffisance respiratoire au sens large n’est plus synonyme de fatalité, mais les progrès réalisés ont autorisé le retour à domicile des patients.
Un spectre de prises en charge toujours plus large
Oxygénothérapie et concentrateurs d’oxygène, ventilation mécanique non invasive, pression positive continue, orthèses d’avancée mandibulaire, haut-débit, aide à la toux et mobilisation mécanique, nébuliseur d’aérosolthérapie… Tous les dispositifs médicaux respiratoires ont été l’objet d’innovations au cours des dernières décennies, permettant de prendre en charge des pathologies (BPCO, mucoviscidose, asthme, insuffisance respiratoire, apnées du sommeil) et des profils de patients (âges, comorbidités etc.) toujours plus nombreux.
Au service de la qualité de vie des patients
Aujourd’hui, les dispositifs ont tous atteint une maturité technique et technologique suffisante pour contribuer efficacement au traitement d’un grand nombre de pathologies respiratoires, notamment à domicile. Plus encore, ils ont été l’objet, au fil des ans, d’améliorations visant à les rendre toujours moins invasifs et moins bruyants, mais plus petits et plus ergonomiques. L’objectif ? Améliorer toujours plus l’observance, la qualité de vie et l’autonomie des patients.
Le numérique pour optimiser le suivi des patients…
Comme dans de nombreuses spécialités médicales, le numérique, la connectique et les technologies associées ont pris, ces dernières années, une place de plus en plus importante dans le diagnostic, le traitement et le suivi des pathologies respiratoires. Et ce mouvement ne cesse de s’accélérer, ouvrant des perspectives toujours plus larges. La télésurveillance et le télésuivi des maladies chroniques respiratoires se développent, donnant accès aux cliniciens, à distance et en temps réel, à de nombreux paramètres : cela permet d’optimiser le traitement, mais également de détecter précocement la survenue d’événement aigus.
… et l’ensemble du système de santé
Au-delà de la prise en charge individuelle, la transformation numérique se révèle vertueuse pour l’ensemble du système de santé, et notamment des parcours de soins. Ainsi, hiérarchiser l’urgence des demandes, répondre à un premier besoin le cas échéant, éviter des déplacements au cabinet ou même aux urgences, voire, bientôt, prévenir certaines hospitalisations… sont autant de possibles offerts par le numérique en santé, qui seront nécessairement accompagnés d’une évolution de l’organisation humaine. Mais cela, les acteurs du secteur – professionnels de santé, industriels, patients, prestataires de service – y travaillent déjà.
Les patients parlent de l’innovation
L’observance des patients atteints de troubles respiratoires est absolument fondamentale et les dispositifs médicaux y jouent, par leur ergonomie, leur confort et leur facilité de prise en main et d’usage, un rôle essentiel. C’est ce que montrent les deux témoignages de ce livret.
Ainsi, la maman d’un petit patient de 3 ans atteint de mucoviscidose raconte comment un dispositif connecté a changé le quotidien de son enfant mais également celui de toute la famille.
Notre second témoin a, quant à elle, vu sa vie complétement transformée par la ventilation mécanique par pression positive continue : après des années de fatigue inexpliquée jusqu’à ce que soit posé le diagnostic d’apnées du sommeil, elle a désormais recouvré sérénité et joie de vivre.
Des particules fines qui soignent
Apparus dans les années trente, les aérosols obtenus par nébulisation constituent aujourd’hui un traitement de référence pour l’asthme, la Broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO) et la mucoviscidose. L’évolution des procédés de nébulisation a largement contribué à augmenter l’efficacité de ces traitements et à faciliter leur utilisation par les patients.
La nébulisation est un procédé qui consiste à transformer une solution liquide, par exemple un médicament, en un aérosol constitué de gouttelettes suffisamment fines pour rester en suspension dans un élément gazeux. Cet aérosol peut alors être inhalé, c’est-à-dire inspiré par le patient, et entrer en contact direct et rapide avec les voies aériennes. En cela, elle constitue une alternative intéressante à l’injection. Les principales indications actuelles de l’aérosolthérapie par nébulisation concernent ainsi essentiellement la pneumologie. Elle est préconisée pour le traitement de l’asthme, de la Broncho-pneumopathie obstructive (BPCO) mais aussi de la mucoviscidose. Plusieurs catégories de médicaments peuvent être administrées de la sorte : bronchodilatateurs, fluidifiants, corticoïdes, anti-inflammatoires non stéroïdiens et antibiotiques. L’aérosolthérapie a également fait ses preuves pour soigner l’hypertension artérielle pulmonaire primitive et prévenir certaines infections pulmonaires. En ORL, elle est indiquée dans le traitement de plusieurs formes de laryngites et de rhinosinusites. Quant à la possibilité d’y avoir recours pour administrer des vaccins, de l’insuline ou encore certains anticancéreux, elle est actuellement à l’étude.
Pour produire un aérosol à visée médicale, plusieurs types de nébuliseurs existent qui se distinguent par leur technologie, leur rendement et leur capacité à conserver le pouvoir thérapeutique du médicament. Inhalées à l’aide d’un embout buccal ou d’un masque, les gouttelettes de l’aérosol cheminent à travers les voies respiratoires où elles pénètrent plus ou moins profondément selon leur diamètre. Les particules plus grosses (>10 µm) s’arrêtent dans la sphère ORL, les fosses nasales. Celles de taille intermédiaire (1 à 5 µm) gagnent les poumons et sédimentent au niveau des bronches. Quant aux plus fines (<1 µm), elles atteignent les alvéoles pulmonaires. Le médicament ainsi délivré présente l’avantage d’agir directement sur l’organe cible et ce, en quelques minutes. L’âge du patient, l’état de ses poumons ainsi que les paramètres respiratoires pendant l’inspiration ont également une incidence sur la pénétration de l’aérosol et son efficacité thérapeutique.
Utiliser le pouvoir thérapeutique de particules en suspension inhalées est une idée très ancienne, qui a notamment accompagné le développement de la médecine thermale. Pour autant, l’histoire de la nébulisation est marquée par une alternance de périodes d’engouement et de désintérêt jusqu’à ce qu’elle parvienne à confirmer sa place dans la pharmacopée au cours du XXe siècle.
Le premier nébuliseur à usage médical est né en 1858 entre les mains du pneumologue Jean Sales-Giron, qui le baptisa instrument pulvérisateur des liquides médicamenteux. Cet appareil à air comprimé utilisé dans les stations thermales formait un fin brouillard administré aux malades pulmonaires. « Malheureusement, raconte le Dr Jean-François Dessanges, physiologiste membre de la Société de pneumologie de langue française (SPLF), on ajoutait à ces eaux minérales des substances telles que la térébenthine et le pétrole qui sont des produits dangereux puisqu’ils provoquent des pneumopathies interstitielles. On ignorait que de telles substances huileuses augmentent la taille des particules qui deviennent alors irrespirables. A l’époque, de nombreux médecins ont alors mis en doute l’efficacité de ces thérapeutiques. »
La découverte de l’adrénaline et de l’éphédrine au début du XXe siècle contribua à donner un nouvel élan à la nébulisation. Efficace contre les crises d’asthme, son utilisation première, l’inhalation de ces produits s’avère également capable d’enrayer les réactions allergiques graves, si bien qu’elle devient rapidement un traitement de choix des allergologues et des urgentistes contre l’œdème de Quincke. « Ces inhalations étaient administrées le plus souvent par de petits appareils type vaporisateur à parfum », poursuit le Docteur Dessanges. En 1940, Robert Tiffeneau mit au point un générateur d’aérosol qu’il décrivit dans une note à l’Académie des Sciences. Le nébuliseur pneumatique, aujourd’hui encore le plus répandu, était né. Il sera notablement perfectionné par la suite. Le principe est simple : un compresseur ou un branchement sur une prise d’oxygène mural génère dans le nébuliseur un flux d’air qui atomise le médicament et crée l’aérosol.
Une seconde catégorie de nébuliseurs, dits ultrasoniques, fut inventée aux Etats-Unis dix ans plus tard. Aussi encombrant que son équivalent pneumatique, le nébuliseur ultrasonique a toutefois un avantage sur celui-ci : il est silencieux. La préparation est nébulisée sous l’effet d’ondes ultrasoniques générées par un cristal piézo-électrique qui vibre à haute fréquence (2MHz). D’abord utilisé pour humidifier les voies aériennes, en cas de trachéotomie notamment, l’appareil attire l’attention des médecins qui cherchent à produire des aérosols thérapeutiques. Hélas, toutes les molécules ne résistent pas à un tel traitement vibratoire et à l’augmentation de température, ce qui rend le matériel inadéquat pour la plupart des traitements à aérosols.
En 1956 apparut un autre type de dispositif permettant de délivrer un aérosol : l’aérosol-doseur pressurisé ou spray. « Ces appareils petits, peu onéreux et théoriquement faciles à mettre en œuvre ont conquis le monde médical en faisant tomber en désuétude les nébuliseurs bruyants et peu efficaces de l’époque », souligne le Docteur Dessanges. S’ensuivit une longue période creuse pour les nébuliseurs, peu propice à l’innovation. Du reste, les médicaments administrables sous la forme d’aérosols étaient encore peu nombreux, ce qui limitait la portée de l’aérosolthérapie. Il fallut attendre les années quatre-vingt pour voir apparaître de nouveaux traitements par voie inhalée et, avec eux, un regain d’intérêt pour les dispositifs de nébulisation. La période est celle du début de l’épidémie de Sida. Beaucoup de patients séropositifs au VIH contractent en effet des infections pulmonaires contre lesquelles l’inhalation de pentamidine s’avère efficace à condition que l’aérosol pénètre suffisamment profondément les poumons. Il fallut donc trouver le moyen d’obtenir les gouttelettes les plus fines possibles. Par ailleurs, les rejets de pentamidine étant toxiques pour l’entourage, il importait de réussir à filtrer l’air expiré. Ces deux contraintes poussèrent chercheurs et industriels à améliorer les performances des nébuliseurs pneumatiques. A la même période, la prise en charge de la mucoviscidose s’améliora et la nébulisation fit ses preuves pour traiter par antibiotiques certaines infections pulmonaires chez ces patients. Enfin, cette décennie fut celle du développement de la nébulisation à domicile lié à celui de petits appareils ultrasoniques simples et faciles d’utilisation.
La logique se répéta dans les années quatre-vingt-dix, lorsqu’une molécule aux propriétés mucolytiques obtenue par génie génétique, la RHDNase, offrit de nouvelles perspectives pour fluidifier les sécrétions des patients atteints de mucoviscidose. Très fragile, elle ne peut toutefois pas être administrée par nébuliseur ultrasonique. On se tourna alors vers les appareils pneumatiques pour améliorer les performances et développer les compresseurs. La génération des nébuliseurs à double venturi, qui créent une double dépression d’air, donc une plus grande quantité d’aérosol, apparut au début des années 2000. Ces nébuliseurs, également dits à venturi actifs, présentent ainsi l’avantage de délivrer plus de produit à l’inspiration qu’à l’expiration, évitant de diffuser dans l’atmosphère une partie du médicament. Parallèlement, les améliorations ont porté sur la réduction du volume résiduel, rendant inutile la dilution du médicament et réduisant la durée de la séance. Les premiers nébuliseurs à tamis vibrants firent eux aussi irruption dans le paysage à la même période. Ces appareils petits, transportables, très silencieux et qui fonctionnent sur batterie, signèrent une véritable révolution technologique dans le monde de l’aérosolthérapie. Le tamis dont ils sont équipés est percé de milliers de trous par centimètre carré, ce qui permet d’obtenir des particules parfaitement calibrées avec très peu de pertes résiduelles. Pour administrer une dose d’aérosol, il ne faut plus que 3 minutes, contre 10 avec un appareil pneumatique. En revanche, les nébuliseurs à tamis vibrants sont plus fragiles et surtout beaucoup plus chers.
Dès lors, les améliorations apportées aux nébuliseurs, toutes technologies confondues, ont concouru à atteindre trois objectifs : augmenter la performance des appareils, réduire les pertes de produits et éviter les fuites au niveau de l’embout nasal ou du masque. Alors que le défi des années quatre-vingt consistait à maîtriser la taille des particules et à rejeter le moins de produit possible dans l’atmosphère, il s’agit, désormais, de rendre disponible toute la dose pour le patient et d’optimiser le rendement de l’appareil. Ainsi les systèmes intermittents ou à chambre ont-ils été conçus pour ne produire l’aérosol qu’à l’inspiration. Par ailleurs, bon nombre de travaux actuels explorent les usages possibles de l’aérosolthérapie au-delà des seules affections respiratoires. Des essais sont menés en thérapie génique, en vaccination, en antiobiothérapie ou pour l’administration de traitements anti-cancéreux notamment par le CEPR Inserm de l’Université de Tours. Autant de pistes qui consistent à administrer des doses précises de molécules fragiles, ce qui suppose d’innover encore en matière de technologies.
Éclairage
« L’arrivée des sprays a révolutionné la vie des asthmatiques »
Dr Jean-Pierre Chaumuzeau, Pneumologue libéral.
« Je me souviens de l’année 1986, quand a été commercialisé le premier corticoïde en spray suffisamment actif et dosé pour mettre les patients asthmatiques à l’abri des crises et retrouver une vie normale, raconte le Dr Jean-Pierre Chaumuzeau, pneumologue de ville. Quatre à six bouffées quotidiennes de corticoïdes suffisaient. Enfin un traitement simple et à la portée de tous les malades ! N’oublions pas que jusqu’en 2004, les ampoules de médicaments pour la nébulisation n’étaient pas disponibles en ville. Il fallait aller à la pharmacie centrale des hôpitaux pour se les procurer. Les premières générations d’aérosols doseurs pressurisés n’étaient pas parfaites, c’est vrai. Leur usage nécessitait de bien coordonner la pression du pouce avec l’inspiration. Les chambres d’inhalation qui permettent de stocker temporairement la bouffée avant l’inhalation, puis les systèmes autodéclenchés qui coordonnent la bouffée avec le début de l’inspiration ont permis ensuite de contourner en partie le problème. »
À savoir
Au temps des cigarettes anti-asthmatiques
Au Ier siècle après J.C., Claude Galien recommandait déjà à ses malades d’aller respirer sur les pentes du Vésuve les fumerolles chargées de vapeurs sulfureuses. Pendant des siècles, on a eu recours à la pipe pour inhaler des substances à visée hallucinogène. Tous les sorciers du monde connaissaient les effets psychotropes de certaines plantes comme le Datura stramonium. Les fameux « calumets de la paix » des Indiens d’Amérique du Nord en contenaient. En France, au XIXe siècle, les cigarettes médicinales ont été largement utilisées pour traiter les patients asthmatiques. Marcel Proust et Armand Trousseau, pour ne citer qu’eux, en étaient des consommateurs notoires. En 1973, le Vidal proposait encore cinq sortes de cigarettes anti-asthmatiques. Elles ont toutes été retirées du marché en 1992 suite à des usages abusifs et mortels.